Ouverture des commerces le 1er mai : entre impératifs économiques et protection des salariés

Le 1er mai, fête du Travail, occupe une place singulière dans le droit français. En effet, il s’agit du seul jour férié inscrit dans le Code du travail à être systématiquement chômé et rémunéré.

Pourtant, depuis 2024 et plus particulièrement en 2025, un vif débat oppose liberté économique et protection du salarié, notamment sur la question de l’ouverture des boulangeries et fleuristes et, par extension, des commerces en général.

En avril 2025, plusieurs boulangeries ont été verbalisées et convoquées en justice pour avoir employé des salariés le 1er mai 2024. Elles encourent des amendes pouvant atteindre 750 € par personne.

Face à ces sanctions, la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie, soutenue par des parlementaires, a engagé un dialogue avec le gouvernement pour introduire une dérogation légale autorisant, sous conditions, le travail volontaire avec rémunération majorée.

Dans cet article, je fais le point sur les dimensions juridiques, économiques et sociales de ce débat.

Le 1er mai : un jour férié particulier dans le droit français

Dans le calendrier des jours fériés en France (et il y en a !), le 1er mai occupe une place singulière. Il ne s’agit pas seulement de la fête du Travail, mais également du seul jour férié obligatoirement chômé et payé pour tous les salariés en France, sans condition d’ancienneté ni d’activité de l’entreprise.

Ce statut particulier est encadré par l’article L3133-4 du Code du travail qui impose l’interdiction d’employer des salariés ce jour-là, sauf dérogations prévues par la loi.

Un principe de fermeture généralisée…

En pratique, cela signifie que toutes les entreprises, tous secteurs confondus, doivent cesser leur activité le 1er mai, sauf dans certains cas strictement définis (j’en parle juste après).

Cette règle s’applique aussi bien aux contrats à durée indéterminée (CDI) qu’aux CDD, temps partiels et temps complets. Le salarié n’a pas à poser de congé ou à justifier son absence, il bénéficie automatiquement du repos et de son maintien de rémunération.

Quelle différence avec les autres jours fériés, pensez-vous ? Eh bien, le régime particulier du 1er mai se distingue des autres jours fériés pour lesquels le chômage n’est ni obligatoire ni universel.

C’est pourquoi le 1er mai incarne un principe de droit social fort historiquement ancré dans les luttes ouvrières et dans la reconnaissance du travail salarié.

Saviez-vous que le 1er mai était à l’origine instaurée comme journée annuelle de grève pour la réduction du temps de travail ?

… assorti d’exceptions encadrées

Comme je le mentionnais précédemment, quelques exceptions légales existent et fort heureusement !

En effet, elles concernent principalement les entreprises ou services dont l’activité ne peut être interrompue pour des raisons de nécessité publique ou de sécurité, comme :

  • les hôpitaux et services de santé,
  • les transports en commun,
  • les services de secours (pompiers, police, etc.).

Ces dérogations doivent toutefois s’inscrire dans un cadre strict. Les salariés concernés ne peuvent pas être contraints à travailler le 1er mai sans compensation. La rémunération majorée doit être au moins équivalente au double de la rémunération normale, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

L’absence d’accord collectif ou d’autorisation préfectorale adéquate peut exposer l’employeur à des sanctions administratives et pénales.

Des risques juridiques en cas d’ouverture non encadrée

Le non-respect de ce jour chômé et payé expose l’employeur à des amendes prévues par l’article R. 3135-1 du Code du travail, à savoir une contravention de quatrième classe (jusqu’à 750 € par salarié concerné). Cela peut même aboutir à des sanctions prud’homales en cas de litige individuel.

Au-delà du risque financier, une ouverture illégale peut affecter la réputation sociale de l’entreprise, surtout dans des secteurs exposés médiatiquement.

Ouverture des commerces le 1er mai : une demande croissante

Dans les faits, tous les commerces ne sont pas égaux face à l’impact économique d’un jour férié chômé. En effet, le 1er mai constitue un temps fort commercial pour certaines activités, dont :

  • les fleuristes : l’essentiel des ventes de muguet se concentre sur cette seule journée, ce qui représente près de 80 % du chiffre d’affaires de la semaine concernée ;
  • les boulangeries : l’ouverture répond à une demande locale forte, notamment en zone rurale ou touristique ;
  • la grande distribution et les enseignes de bricolage ou d’équipement de la maison : le 1er mai représente une opportunité commerciale surtout s’il tombe un jour propice (week-end prolongé) ;
  • l’hôtellerie-restauration et les commerces en zones touristiques : la fermeture représente un manque à gagner significatif.

Pour les grandes enseignes, l’ouverture le 1er mai est souvent justifiée par un argument de compétitivité, notamment dans les zones transfrontalières. En effet, dans certains pays voisins (Espagne, Italie, Belgique), les règles d’ouverture sont moins strictes, ce qui crée un déséquilibre concurrentiel, en particulier pour les centres commerciaux situés près des frontières.

Les fédérations professionnelles soulignent également la volonté de certains salariés de travailler le 1er mai, attirés par les majorations de salaire pouvant aller jusqu’à 100 % selon les conventions collectives.

Ces arguments sont régulièrement mis en avant dans les négociations sociales, surtout dans la grande distribution.

Ouverture des commerces le 1er mai : vers une évolution du droit du travail ?

Alors que les entreprises explorent les marges de manœuvre existantes pour ouvrir le 1er mai sans contrevenir au droit du travail, il est légitime de se poser la question de savoir si le cadre juridique actuel est encore adapté aux réalités économiques d’aujourd’hui.

Les propositions politiques et débats récents sur la libéralisation des jours fériés

En réalité, le débat autour de l’ouverture des commerces le 1er mai s’inscrit dans une réflexion plus large sur la libéralisation du travail les jours fériés. Ces dernières années, plusieurs propositions ont été avancées par des élus, notamment au niveau local ou parlementaire, pour assouplir le Code du travail, en particulier dans les zones touristiques ou transfrontalières.

En 2024, une proposition de loi visant à rendre l’ouverture des commerces possible le 1er mai sur la base du volontariat et d’un accord collectif local a été déposée à l’Assemblée nationale. Si le texte n’a pas été adopté, il a néanmoins relancé les discussions sur une éventuelle évolution du régime des jours fériés, jugé parfois trop rigide dans un contexte économique tendu.

Plus globalement, certains acteurs politiques plaident pour une reconnaissance de la diversité des territoires dans l’organisation du travail avec davantage de marges de manœuvre pour les préfets et les collectivités.

Les risques d’inégalités territoriales ou sectorielles

Toute réforme allant dans le sens d’une libéralisation du travail le 1er mai pose un risque réel d’inégalités.

Tout d’abord, il y a un risque d’inégalités territoriales. Les entreprises situées dans des zones attractives (ZTI, grandes métropoles, zones touristiques) bénéficieraient de dérogations facilitées alors que les commerces en zones rurales ou périurbaines resteraient soumis au droit commun.

Ajoutons à cela les Inégalités sectorielles. En effet, certains secteurs, comme le commerce ou l’hôtellerie-restauration, auraient des opportunités d’activité accrues alors que d’autres (industrie, services aux entreprises) resteraient fermés, ce qui pourrait créer une distorsion de concurrence ou un déséquilibre social.

Le risque de segmentation du droit du travail en fonction des territoires et des filières est donc un enjeu central du débat. Une réforme mal calibrée pourrait accroître les écarts de traitement entre salariés, en particulier sur la question du volontariat réel et de la majoration de salaire.

La position des partenaires sociaux

Les organisations patronales et syndicales affichent des positions contrastées sur le sujet.

Le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) se montre globalement favorable à une souplesse accrue à condition que l’ouverture repose sur le volontariat et que les conditions de rémunération soient respectées. Il souligne la nécessité d’adapter le droit aux réalités économiques locales.

À l’inverse, les syndicats de salariés (CGT, FO, Solidaires, etc.) s’opposent fermement à toute remise en cause du caractère chômé du 1er mai, perçu comme un acquis social fondamental. La CFDT, plus modérée, pourrait envisager des dérogations encadrées, mais à la condition que les garanties sociales soient renforcées.

Cette opposition souligne la difficulté de parvenir à un consensus social autour d’une éventuelle réforme. Toute tentative de libéralisation devra donc s’accompagner d’une négociation approfondie entre les partenaires sociaux pour éviter un rejet frontal ou des conflits collectifs.

Une réflexion sur la modernisation du Code du travail

Au-delà du cas du 1er mai, c’est la question plus large de l’adaptation du Code du travail aux réalités économiques contemporaines qui est posée. Les transformations du commerce (essor du e-commerce, horaires élargis, attentes de disponibilité), la pression concurrentielle internationale et la diversité des rythmes territoriaux interrogent sur la capacité du droit du travail à accompagner ces mutations.

Plusieurs pistes sont évoquées par des juristes et économistes du travail.

  1. La création d’un cadre juridique plus souple, mais sécurisé, avec des droits renforcés pour les salariés volontaires.
  2. Une plus grande décentralisation des règles par des accords territoriaux négociés entre branches, préfectures et collectivités.
  3. La reconnaissance formelle de différents régimes de jours fériés selon les secteurs d’activité sur le modèle de ce qui existe déjà pour les dimanches travaillés.

 

L’ouverture des commerces le 1er mai est bien plus qu’un simple enjeu économique ou symbolique. Elle met en lumière les tensions entre souplesse d’organisation et protection des droits fondamentaux des salariés. Si certaines dérogations existent, elles demeurent strictement encadrées et leur mise en œuvre exige une vigilance juridique rigoureuse. La question centrale derrière ce récent débat est de savoir comment concilier, dans la durée, performance commerciale et respect effectif du droit au repos.


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