IA et RGPD : comment mettre l’entreprise en conformité ?
L’intelligence artificielle (IA) s’impose désormais comme un levier stratégique pour les entreprises, y compris dans les secteurs traditionnellement régulés comme le juridique, la comptabilité ou encore la finance.
Mais derrière cette avancée technologique se cache un défi majeur : la conformité des entreprises aux réglementations sur les données personnelles, au premier rang desquelles figure le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
En effet, nombre de solutions d’IA manipulent, croisent ou déduisent des informations à caractère personnel, exposant ainsi les entreprises à des risques juridiques et éthiques.
Alors, comment concilier innovation technologique et respect du cadre légal ? Je vous explique tout !
Les enjeux du RGPD liés à l’utilisation de l’IA
L’intégration de l’intelligence artificielle dans les processus métiers transforme la manière dont les entreprises collectent, traitent et exploitent les données. Or, lorsqu’il est question de données personnelles, le RGPD (Règlement général sur la protection des données) impose un cadre strict et parfois mal maîtrisé dans les projets IA.
Avant d’engager des actions de mise en conformité, il est donc indispensable de comprendre les enjeux spécifiques que soulève l’IA au regard du RGPD. C’est parti !
Les données personnelles et l’IA : un couple sous surveillance
Le RGPD s’applique dès lors qu’un traitement de données concerne une personne physique identifiée ou identifiable. L’IA, en tant que technologie de traitement automatisé, est alimentée par des volumes massifs de données pouvant contenir directement ou indirectement des informations personnelles : noms, adresses e-mail, identifiants techniques, comportements utilisateurs, etc.
Il faut savoir que même lorsque les données sont anonymisées ou issues d’ensembles massifs, il subsiste un risque de ré-identification. De plus, les traitements IA sont souvent opaques, complexes à expliquer et difficilement auditables, ce qui soulève des préoccupations majeures en matière de transparence, de responsabilité et de droits des personnes concernées.
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Les principes du RGPD appliqués à l’IA : une mise à l’épreuve
L’IA n’est pas incompatible avec le RGPD, mais elle met à l’épreuve plusieurs de ses principes fondamentaux.
- Licéité, loyauté et transparence : l’entreprise doit être capable d’expliquer pourquoi et comment elle traite des données via l’IA, y compris lorsque les algorithmes sont complexes ou issus de tiers (modèles propriétaires, IA générative, etc.).
- Limitation des finalités : les données doivent être utilisées que pour des objectifs clairs et définis à l’avance. Or, les modèles IA ont tendance à évoluer et à être réentraînés pour de nouveaux usages, ce qui peut violer ce principe si les traitements dérivent de leur but initial.
- Minimisation des données : seules les données strictement nécessaires au traitement doivent être collectées. Une IA conçue sur une logique de « plus il y a de données, mieux c’est » entre donc en tension avec ce principe.
- Exactitude et mise à jour : les biais algorithmiques ou les données obsolètes peuvent conduire à des décisions erronées. Il est donc essentiel de maintenir des bases de données fiables.
- Limitation de la conservation : les durées de conservation doivent être justifiées et limitées. Un modèle entraîné à partir de données personnelles ne peut pas être conservé indéfiniment sans base légale.
- Sécurité : l’IA exige des mesures techniques et organisationnelles renforcées, notamment en cas d’interconnexion avec d’autres systèmes (ERP, CRM, etc.) ou lors du transfert de données vers des prestataires.
Focus sur le profilage et les décisions automatisées via l’IA
L’article 22 du RGPD introduit un encadrement strict pour les décisions fondées exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, qui produit des effets juridiques ou significatifs sur une personne.
Cela concerne de nombreux cas d’usage de l’IA en entreprise, comme :
- le rejet automatique d’un prêt ou d’un contrat ;
- l’évaluation algorithmique d’un risque financier ou d’une situation juridique ;
- la détection automatisée de comportements frauduleux ou à risque ;
- la segmentation client pour une offre personnalisée avec impact tarifaire ;
- etc.
Le RGPD estime que la personne concernée a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé ou un profilage. Pour qu’une décision soit légitime et autorisée, le RGPD définit certains critères. La décision doit :
- être nécessaire à la conclusion ou l’exécution d’un contrat ;
- être autorisée par le droit de l’Union européenne ou d’un État membre ;
- reposer sur le consentement explicite de la personne concernée.
Attention, pour autant, l’entreprise a l’obligation de garantir des droits forts : information spécifique, intervention humaine, possibilité de contester la décision, obtention d’une explication.
Autrement dit, toute décision impactant une personne physique doit être compréhensible, justifiable et réversible.
La mise en conformité des entreprises au RGPD en matière d’IA
Face à la complexité des traitements opérés par les systèmes d’intelligence artificielle, vous comprenez que le respect du RGPD ne peut se limiter à une simple approche déclarative. Il s’agit d’instaurer une gouvernance structurée, proactive et évolutive. Il faut être capable d’anticiper les risques et d’assurer un pilotage rigoureux de la conformité. Voici quelques pistes de réflexion pour vous aider dans votre démarche.
Identifier les traitements impliquant de l’IA
La première étape dans votre mise en conformité consiste à identifier précisément tous les traitements de données personnels associés à des technologies d’IA.
Il peut s’agit de systèmes développés en interne (modèles propriétaires ou automatisation sur mesure, par exemple) ou de solutions intégrées proposées par des tiers (SaaS avec fonctionnalités IA, assistants juridiques automatisés, etc.).
Chaque traitement doit être documenté dans le registre des traitements, comme l’exige l’article 30 du RGPD. Le registre des activités de traitement permet de recenser les traitements de données et de disposer d’une vue d’ensemble de ce que l’entreprise fait avec les données personnelles.
Pour cela, vous devez vous poser quelques questions :
- quelles données sont utilisées ? ;
- quelle finalité est poursuivie ? ;
- quel est le fondement juridique ? ;
- les données sont-elles transférées en dehors de l’UE ? ;
- qui sont les sous-traitants ou prestataires techniques impliqués ?
En pratique, le registre permet de visualiser les zones de risque, en particulier lorsqu’un traitement relève d’un profilage, d’une décision automatisée ou qu’il concerne des données sensibles (santé, opinions, données financières).
Réaliser une Analyse d’Impact sur la Protection des Données (AIPD)
Lorsque le traitement présente un risque élevé pour les droits et libertés des personnes, une analyse d’impact (AIPD ou DPIA) devient obligatoire (article 35 du RGPD). Cette obligation concerne les systèmes d’IA qui :
- prennent des décisions automatisées ;
- croisent de larges volumes de données personnelles ;
- traitent des données sensibles ou vulnérables ;
- opèrent une surveillance systématique.
L’analyse d’impact sur la protection des données en matière d’IA doit inclure :
- une description précise du traitement IA, de ses objectifs et de son fonctionnement ;
- une analyse des proportionnalités et des nécessités du traitement ;
- l’évaluation des risques sur la vie privée, la transparence, les droits des personnes ;
- la mise en place de mesures techniques et organisationnelles correctives.
Une bonne AIPD n’est pas un simple document de conformité et il ne faut pas la voir comme une contrainte. C’est un véritable outil de pilotage qui doit être mis à jour à chaque évolution significative du système IA (nouvelle finalité, changement d’algorithme, ajout de données, etc.).
Mettre en œuvre les principes de Privacy by Design et by Default
Le RGPD impose d’intégrer la protection des données dès la conception d’un traitement (privacy by design) et de manière systématique par défaut (privacy by default). Cela vaut tout particulièrement pour les projets d’intelligence artificielle, et ce dès la phase de développement.
D’accord, mais concrètement, ça veut dire quoi ?
- Limiter l’accès aux données personnelles à ce qui est strictement nécessaire pour entraîner ou utiliser le modèle IA.
- Anonymiser les données d’apprentissage chaque fois que c’est possible.
- Encadrer les sources de données utilisées pour nourrir les algorithmes, en évitant les jeux de données non vérifiés ou publics sans base légale.
- Tester les biais algorithmiques et vérifier que les décisions ne créent pas de discrimination indirecte ou d’exclusion injustifiée.
- Prévoir une traçabilité des traitements avec des journaux d’audit permettant de comprendre comment une décision a été prise.
- Informer les utilisateurs et les personnes concernées de manière claire et intelligible, même dans un environnement technique complexe.
Le respect du privacy by design vise à anticiper les risques avant que les problèmes n’émergent plutôt que de chercher à les corriger après coup.
L’anticipation des futures évolutions réglementaires
Si le RGPD constitue aujourd’hui la norme de référence en matière de protection des données, le cadre juridique européen s’enrichit progressivement pour mieux encadrer les usages de l’intelligence artificielle. En effet, le RGPD montre quelques limites en matière d’IA.
C’est pourquoi les entreprises doivent donc anticiper les obligations à venir, sous peine de devoir réagir dans l’urgence.
Le Règlement européen sur l’IA (AI Act) : un complément au RGPD
Le Règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act) publié le 1er août 2024 vise à encadrer les systèmes d’IA selon leur niveau de risque. Il ne remplace pas le RGPD, mais vient le compléter, notamment sur les aspects éthiques, techniques et de sécurité. L’entrée en vigueur du texte est prévue en 2026.
- Les systèmes dits « à haut risque » (recrutement, évaluation de crédit, gestion des flux financiers ou juridiques) seront soumis à des exigences strictes : documentation, transparence, supervision humaine, gestion des biais.
- Certaines pratiques d’IA (notamment la surveillance de masse ou la notation sociale) seront interdites.
- Les fournisseurs et utilisateurs d’IA auront des obligations spécifiques et distinctes selon leur rôle dans la chaîne de valeur.
- Les entreprises devront donc articuler RGPD et AI Act, en adaptant leur gouvernance et leurs procédures de conformité.
Vers une convergence des cadres : RGPD, AI Act, DSA/DMA
L’AI Act s’inscrit dans une dynamique plus large de régulation numérique aux côtés du DSA (Digital Services Act) et du DMA (Digital Markets Act). Ces textes visent à rendre les technologies plus transparentes, équitables et sûres pour les citoyens comme pour les professionnels.
Pour les entreprises, cela implique une convergence nécessaire des démarches de conformité (cybersécurité, gouvernance des données, audits), mais aussi une montée en puissance du rôle des juristes, DPO, RSSI et directions métiers dans la gouvernance numérique.
L’IA représente une opportunité majeure pour les entreprises, mais elle impose une vigilance juridique accrue. Le RGPD reste la clé de voûte de la conformité, même à l’ère de l’IA. Anticiper les risques, documenter les traitements, intégrer la protection des données dès la conception : telles sont les conditions pour innover en toute légalité et en toute confiance. Les entreprises qui sauront conjuguer performance technologique et rigueur réglementaire tireront un avantage concurrentiel durable dans ce nouveau cadre numérique européen.